Sam Mendes/Matin Campbell : qui est le meilleur réalisateur de James Bond ?

Publié le par johankata

 Retour sur Skyfall, Casino Royal et GoldenEye, Plaidoyer pour Martin Campbell.

Par Johan Pomier

 

Après la sortie du nouveau James Bond, Skyfall, de Sam Mendes, présenté par beaucoup comme le meilleur des James Bond, entre autre, parce que mis en scène par un réalisateur reconnu et taxé « d’auteur », il est intéressant de se poser la question de mise en scène dans la série James Bond.

 

Mendes/Campbell L’ombre d’un doute… idéologique.

 

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Skyfall

 

Skyfall est une indéniable réussite, et ceci pour plusieurs raisons. Quelles sont celles qui ont trait à la mise en scène :

-un mise en scène soignée,

-des plans très esthétiques (on pense à la partie en Chine et au final en Ecosse)

- un montage et un cadrage des scènes d’action rythmé qui garde de la lisibilité.

- une belle photographie.

-Quelques jolies idées de mise en scène : le combat entre Patrice et James Bond en ombres portées (bien que cette idée ait été exploitée mille fois comme dernièrement dans le Livre D’Eli,…).

-…

Revenons sur le dernier point cité, cette scène en ombre portée est très intéressante car elle n’est pas là juste pour faire joli, mais elle est la mise en image de ce qu’est le travail indispensable de James Bond pour M et pour le film, se battre dans l’ombre face à un ennemi invisible (le terroriste, le hacker, bref l’inverse des vielles batailles des vieux espions qui combattaient L’URSS[1]). Quand M doit se défendre face à la ministre elle explique cela, pour que l’on ne détruise pas l’unité 00. Et alors elle utilise les relents de peur de notre société, l’ennemi est invisible, il vit dans les « shadows» (l’ombre en français mais aussi l’adjectif renvoyant au fantôme, à ce qui est invisible) mais il existe, donc nous devons continuer à investir dans la sécurité (avec des hommes et pas qu’avec des ordinateurs). Et pour prouver à la ministre (personnage antipathique au possible) et au spectateur, qu’elle a raison, les terroristes entrent et font un bain de sang. Alors James Bond va venir les sauver et pas n’importe comment, grâce à une  idée de mise en scène qui peut sembler simple mais qui est brillante. James Bond tire dans les extincteurs ce qui crée un rideau de fumée, cela rend invisibles les assiégés aux yeux des terroristes. Pourquoi cette idée est brillante ? Elle met en image l’idée politique du film qui vient de nous être expliquée, nos ennemis sont invisibles le seul moyen de les combattre c’est de devenir comme eux, invisible. Cette idée est d’ailleurs soutenue par le fait que le méchant soit un ancien agent ou par le fait qu’il ne semble pas y avoir de différence entre un agent 00, James Bond, et un terroriste, Patrice : tout deux ont comme rôle principal « d’appuyer sur la détente », ils passent leur temps à voyager, dans la scène en ombre portée, on ne sait d’ailleurs plus qui est qui, et enfin Eve quand elle veut tuer Patrice touche à la place Bond tellement ils sont proches physiquement mais aussi métaphoriquement.

Voilà ce que peut être la mise en scène, c’est-à-dire la mise en image d’une idée. Après, que dire de l’idée en question, cela semble être la justification du tout sécuritaire et d’une zone de non droit pour les agents de la sûreté nationale (le film reprend la question de la liste d’agents doubles volée déjà présente dans le premier Mission Impossible, mais si ce film doutait de l’importance d’avoir encore des agents dans des pays libérés du joug communiste, Skyfall va dans le sens inverse). On est très proche de l’idéologie développée par  la série 24, le 11 septembre rôde dans tous les esprits et semble tout justifier pour éviter la menace terroriste.

Alors bien sûr, je m’oppose personnellement à cette vision d’un monde simpliste et monstrueuse à mes yeux, mais je dois reconnaître que sous ses dehors de film classe mais lisse Skyfall est rempli de moments de mise en scène, pas très fins, mais au moins on peut parler de mise en scène (ce qui manque à Quantum of Solace et à une grande majorité de films).

Campbell aussi utilisait déjà  la métaphore de l’ombre, du brouillard, de l’opacité dans son premier James Bond : GoldenEye (1995). Cette utilisation des « shadows » est faite en particulier dans une scène, celle où se révèle l’ennemi de 007, Janus. Bond, de nuit, arrive dans ce qu’on pourrait appeler un cimetière des reliques du communisme. C’est l’endroit où sont entreposés toutes les statues, en piètre état, du communisme (faucilles et marteaux, Marx, Lénine, Staline). Bond est censé y rencontrer Janus, mais il ne sait pas qui est Janus et face à lui, apparait alors dans le brouillard, un homme qu’il connaît bien et qu’il pensait mort, Alec Trevelyan, alias 006. Dans un très beau jeu d’ombre apparait d’abord la partie détruite de son visage, recréant ainsi de manière figurée la dualité du personnage mythologique de Janus[2].

 

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GoldenEye

 

C’est dans cette scène que le génie de Campbell est le plus visible, car ici, tout est signifiant.  GoldenEye est le premier James Bond post guerre froide. Comment continuer à faire vivre ce héros, dans un monde qui a changé et à faire accepter un nouvel acteur (Pierce Brosman). Qu’est devenue l’ancienne ennemie de toujours (la Russie) et comment ce nouvel allié va se reconstruire. Voilà à quoi répond cette scène. En image, nous avons l’apparition de ce qui arrive à la Russie : sur le cadavre de l’URSS encore fumant, le capitalisme (représenté par 006) va venir phagocyter la reconstruction de la Russie, et les anciens chefs communistes vont devenir les nouveaux chefs d’une Russie ultralibérale (représentée par le Colonel Ourumov), mais toujours aussi pauvre et inégalitaire. Dans les « Shadows » il y la transformation qui ne transforme rien pour le peuple de Russie, cette transformation du communisme en capitalisme, c’est Janus, dieu gardien du changement. Cette scène symbolise donc l’apparition du changement sur les cendres du communisme, mais d’un changement qui vient des forces de l’Occident et qui ne laisse rien présager de mieux pour la Russie. Voilà comment on peut interpréter  la mise en scène de cette scène, et voilà la grande différence entre la vision du monde de Mendes et celle de Campbell. Pour le premier les choses sont simples, il faut lutter à armes égales (exécution, torture) avec ceux qui se cachent dans l’ombre alors que pour le second la chose est bien moins binaire, bien plus complexe et peut être aussi plus désenchanté. En faisant référence à la mythologie et à l’histoire, Campbell ramène dans sa vision politique du monde, toute la complexité de ses référents. Et la métaphore sur Janus tend à montrer le ridicule de la guerre froide et du changement d’organisation politique et économique, qui n’est qu’un changement de façade. Si Mendes s’en sort avec les honneurs, Campbell lui, fait du cinéma de la plus belle des manières.

 

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GoldenEye

C’est aussi l’intelligence et la finesse de Campbell que de réinventer une mythologie (celle de James Bond), en passant par une autre. Et ça, il le fera de manière encore plus réussie dans Casino Royale.

 

Campbell, Martin Campbell

Martin Campbell, est pour beaucoup un faiseur sans talent ou tout du moins sans le talent de l’oscarisé Sam Mendes. Sa filmographie est faite de films de série B, du Zorro/Banderras, de deux James Bond et du « truc » qu’est Green Lantern. Et pourtant on se trompe, Campbell est un très grand réalisateur de James Bond.

D’abord Campbell a eu l’intelligence de comprendre et d’intégrer à merveille le cinéma d’action de John McTiernam. C’est-à-dire que, à l’inverse de la vague de réalisateurs qui  surdécoupe et utilise à l’excès la camera portée (ce que certains appellent le style Jason Bourne), Campbell reprenant McT, pense l’action comme un endroit où plusieurs choses doivent être mises en œuvre pour réussir la scène :

-       la spatialisation : pour que le spectateur puisse vibrer et avoir peur pour le héros qu’il suit, il doit appréhender l’espace global morcelé par les plans. C’est à dire qu’il doit   savoir au mieux où est le méchant par rapport à Bond même s’ils ne sont pas dans le même plan. Cela permet au spectateur de mieux sentir d’où vient le danger, ce qui décuple la catharsis (pour Aristote, phénomène de libération des passions qui se produit chez le spectateur devant un spectacle lui inspirant terreur ou pitié). Pour cela, il faut utiliser un certain nombre de plans larges ou montrant le plus l’espace dans lequel se passe la scène.

-       Une idée forte (souvent qui a un rapport à l’espace) : chez Mct on peut penser à la scène où John McLaine est pied nu face à des adversaires qui tirent dans les vitres pour l’empêcher de se déplacer dans Piège de Cristal. Chez Campbell on peut penser à la scène de course poursuite à Madagascar où les deux personnages traversent, et détruisent l’espace et sautent de grue en grue, de manière très différente. Cela ne fait pas tout, par exemple, dans Quantum of Solace (de Marc Foster) il y a une idée forte dans la scène où James Bond et son ennemi sont retenus par des cordes la tête en bas, mais la mise en scène est trop épileptique pour que cela soit réussi.

-       Le découpage : il sert à renforcer le rythme de la scène, dans le but d’améliorer la catharsis, sans perdre la lisibilité. Par exemple, McT comme après lui Campbell sont des grands utilisateurs de la coupe dans le mouvement qui dynamise une action (et peut aussi permettre de mieux dissimuler une doublure qui prendrait la place de l’acteur).

Tout cela et bien d’autres chose encore font de Campbell un maitre de l’action au style opposé à la mode ultra découpée-camera tremblée qui inonde le cinéma d’action actuel. Sam Mendes lui aussi évite cet écueil dans Skyfall mais si le spectateur a bien conscience des espaces face à lui, les idées qui marquent sont moins nombreuses que chez Campbell (la scène en Turquie est très réussie mais pas surprenante, celle en ombre portée à Shanghai est un peu du déjà vu,…), et le découpage est un peu moins bien rythmé que chez Cambpell. Après, il reste la dernière scène d’action de Skyfall qui est très réussie mais plus par sa dramaturgie forte et ça photographie que par sa capacité à jouer sur notre pulsion de spectateur qu’est la catharsis.

Chez Campbell, nous avons le souffle coupé quand par exemple dans GoldenEye, James bond saute dans le vide pour rattraper un avion qui pique dans le ciel, et le redresse juste à temps. La scène est bien sûr irréaliste, mais fonctionne grâce à l’identification crée par le personnage de Bond et par sa mise en scène.

Il en va de même pour la scène de poursuite à pied à Madagascar dans le début de Casino Royal : le rythme effréné, la lisibilité, le risque que nous imaginons de se battre, de sauter sur des grues et la surprise des deux styles de déplacement très diffèrent des deux protagonistes, met véritablement, à la première vision, le spectateur dans une nervosité, une crainte mais aussi un plaisir immense et jamais atteint dans aucun autre James Bond. Mais l’autre grande force des scènes d’action de Campbell c’est qu’à l’inverse de la très grande majorité des autres réalisateurs, elles sont porteuses de sens.

 

 

Casino Royal, la mise en scène d’une mythologie

 

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Casino Royale

 

Campbell donne plus d’importance aux images comme porteuses de sens qu’à la narration. Dans Casino Royal, une image dans l’image a plus encore d’importance que les autres pour comprendre une partie du discours du film. Cette clé d’interprétation se trouve dans la scène de l’exposition à Miami. Dans le fond, on peut voir un tableau nommé « L’Ange Anatomique » de Gauthier d’Agoty (1746). Gravure très connue mais qui eut au vingtième siècle sa plus grande diffusion comme couverture de livre. Ce livre c’est : Les Larmes d’Eros de George Bataille paru en 1961 . Le lien entre ce livre et le film est central et cela peut de manière très simple être accrédité par le dérèglement lacrymal du Chiffre (Mads Mikkelsen). Ce livre est une histoire de la peinture au regard de la mythologie d'Éros et de Thanatos (l'amour et la mort). Pour Bataille chaque époque, peuple, civilisation a peint le reflet de ce qu’est l’essence même de l’homme, c’est-à- dire son désir  insurmontable pour la jouissance et la mort indissociables.

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Campbell reprend belle et bien cette idée dans Casino Royale en inscrivant son héros, dans ce double mouvement. Car James Bond est un héros du passé et en même temps il se renouvelle avec le corps de Daniel Craig. Pour montrer ce renouvellement mais aussi pour insérer James Bond dans l’histoire des corps de Bataille, il va faire subir à James Bond cette double action de jouissance et de mort. Cela commence dès le début avec cette réplique à double sens « la deuxième fois est indéniablement - plus facile - ». Cela fait référence au deuxième meurtre qu’il doit accomplir pour devenir agent 00, mais cela a « indéniablement » une connotation sexuelle. Plus loin, c’est au spectateur qu’il fait vivre cette double action, qui est le centre même du genre du film d’action. La scène de poursuite à Madagascar, est jouissive pour le spectateur pour autant il n’est question ici que de  danger et de mort. C’est donc le meilleur moyen pour justifier la théorie de Bataille. On peut aussi ramener le poker à ces questions, mais aussi la scène de torture, où James Bond imite la jouissance à chaque fois que le Chiffre le frappe dans les parties génitales. Et dans toutes ces situations, Bond passe par une ressemblance avec un autre « héros » mythologique ayant vécu ces situations, comme Hercule ou encore, pour la dernière citée le Christ.

Enfin la dernière scène d’action du film en est l’exemple parfait et en même temps son élargissement à notre monde contemporain. D’abord le lieu, Venise, ville marquée par l’histoire est un cadre parfait pour la réapparition de cette mythologie particulière. James Bond  qui a suivi Vesper est pris au piège dans un immeuble qui s’écroule, image d’une époque qui disparaît (l’ancien monde, celui de l’avant 11 septembre, autre question centrale du film) et la femme qu’il aime, qu’il désire, mais qu’il dit aussi vouloir tuer, est bloquée dans un ascenseur où l’eau rentre. Alors, après s’être débarrassé de ses adversaires, il plonge la sauver mais quand il arrive à l’ascenseur, elle s’enferme dedans acceptant sa mort. Il se débat pour la sauver en vain, elle le calme et ils se regardent enfin, à ce moment, elle est comme aspirée au fond de la cage d’ascenseur et meurt. Ici, le réfèrent mythologique est Orphée. Dans le mythe, Orphée descend aux enfers pour récupérer Eurydice, Hadès l’autorise à quitter avec elle les enfers à la condition qu’elle le suive et qu’il ne lui parle pas et ne se retourne pas. Juste avant de sortir, il ne peut plus contenir son désir et se retourne, Eurydice est alors aspirée à tout jamais par l’enfer. James Bond comme Orphée affronte l’enfer pour récupérer la femme qu’il aime, un simple déplacement freudien est fait, ici c’est 007 qui la suit et non elle, mais quand elle le voit, elle s’enferme et est esthétiquement aspirée au fond de la cage vers sa mort. En une scène nous avons eu l’Eros et le Thanatos.  Là encore, Campbell reprend un mythe ancien pour réactualiser le mythe James Bond (nouvel acteur, nouvelle ennemi, monde post 11 septembre) mais aussi pour le lier aux autres héros, et aux autres hommes dans ce lien universel permanent entre désir de vie et de mort, de jouissance et de meurtre. Les films de Campbell sont chargés d’un implicite qui puise aux ressources de  l’imaginaire premier qu’est notre culture et parvient ainsi à toucher notre inconscient. 

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Casino Royale

 

Bref, il y a ceux qui se disent auteurs, sans que personne ne questionne ce statut et il y a ceux qui le sont vraiment : Campbell, Martin Campbell fait partie de ceux là.

 

Pomier Johan

 

SKYFALL
Réalisateur : Sam Mendes
Scénariste : Neal Purvis, Robert Wade, John Logan, Ian Fleming (romans)
Producteurs : Barbara Broccoli, David Pope, Anthony Waye, Gregg Wilson...
Photo : Roger Deakins
Montage : Stuart Baird
Bande originale : Thomas Newman
Origine : Angleterre/USA
Durée : 2h23
Sortie française : 26 octobre 2012

 

CASINO ROYALE

Réalisateur : Martin Campbell
Scénariste : Neal Purvis, Robert Wade, Paul Haggis, Ian Fleming (romans)
Producteurs : Barbara Broccoli, Michael G. Wilson
Photo : Phil Meuheux
Montage : Stuart Baird
Bande originale : David Arnold
Origine : Angleterre/USA
Durée : 2h24
Sortie française : 22 novembre 2006

 

GOLDENEYE

Réalisateur : Martin Campbell
Scénariste : Jeffrey Caine, Bruce Feirstein, Micahel France, Ian Fleming (romans)
Producteurs : Barbara Broccoli, Michael G. Wilson
Photo : Phil Meuheux
Montage : Terry Rawlings

Bande originale : Eric Serra
Origine : Angleterre/USA
Durée : 2h04
Sortie française : 20 décembre 1995



[1] En réalité James Bond se bat lui rarement contre l’URSS mais presque toujours contre des organisations secrètes 

[2] Janus est une divinité romaine,  représenté avec deux visages opposés qui évoquent les deux faces d’une porte, il est le gardien du passage, des portes et du changement.


 

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